Les petits moulins, grands pour l’environnement
À quels grands défis les très petites entreprises de meunerie doivent-elles faire face aujourd’hui ? Entre patrimoine, proximité et écologie, quels atouts leur permettront de les relever ?
Vouloir définir le profil type d’un petit moulin est un exercice difficile, tant il existe de situations, d’organisations et de visions différentes. Cultiver la diversité meunière et s’enrichir de ces différences est d’ailleurs la raison d’être des Petits Moulins de France (PMF), un groupement d’une cinquantaine de meuniers indépendants écrasant chacun moins de 10 000 tonnes par an (c’est le plafond pour en devenir membre).
François Giraudineau, président des PMF et meunier en Loire-Atlantique (Minoterie Giraudineau), donne toutefois quelques éléments pour mieux comprendre ce qui fait la spécificité d’un petit moulin. « Ce sont des entreprises indépendantes, libres de leurs choix et non soumises à une entité supérieure du fait d’un lien financier, juridique ou marketing, explique-t-il. La dimension familiale est très fréquente et la question de la transmission, centrale. La conscience d’avoir entre les mains un patrimoine vivant et un savoir-faire séculaire à transmettre aux générations futures est aussi très présente, poursuit le président des PMF. Leur clientèle est locale, associée à un territoire et composée quasi-exclusivement d’artisans — boulangers et pâtissiers pour l’essentiel. L’activité d’un petit moulin est ancrée dans une économie locale et fait partie intégrante du dynamisme régional. »
Un modèle agile et résilient
Il n’est donc pas étonnant que le premier défi des petits moulins consiste à faire perdurer (et même à promouvoir) un modèle économique singulier, dans un paysage dominé par la grande meunerie française. « Ce modèle repose sur une proximité relationnelle de long terme entre le moulin, ses fournisseurs agriculteurs et ses clients artisans, indique François Giraudineau. La confiance mutuelle et le sens de la solidarité nous permettent d’entreprendre en bonne intelligence. Si le cours des céréales chute ou si les coûts de production pèsent sur la rentabilité des agriculteurs — comme c’est le cas en bio —, le meunier peut acheter plus cher pour protéger son fournisseur. Cette relation est aussi une force lorsqu’il s’agit de développer des projets transversaux avec une grande agilité », estime-t-il.
Arnaud Mouchard, meunier en Seine-Maritime (Moulins de l’Andelle), estime que l’enjeu de fond de son entreprise consiste effectivement à cultiver ce qui fait la valeur ajoutée des “petits” tout en cherchant à proposer des services faisant la force des “grands”. « Nous partageons avec l’artisan boulanger les mêmes contraintes — concurrence vive, charges élevées, règlementations pesantes, investissements onéreux, attentes sociétales… — mais aussi une recherche d’excellence et une flexibilité qui nous permettent d’innover et de trouver des opportunités de développement localement. C’est justement dans l’échange que l’on parvient à se challenger sur les grands sujets actuels que sont la santé, la nutrition, le goût ou l’agroécologie. En travaillant le volet production avec l’agriculteur et le débouché commercial avec le boulanger, nous parvenons à développer des filières pérennes et durables, notamment de farines spéciales d’exception », ajoute-t-il.
Un moindre impact climatique
Le petit meunier est donc cette passerelle qui permet aux deux mondes de se comprendre et de travailler ensemble. C’est ainsi que l’épineux dossier de la transition agroécologique parvient à avancer. Engagé dans une stratégie bas carbone, Jérôme Puel, meunier dans l’Aveyron (Minoterie Vallée du Céor), détaille ses enjeux locaux. « Nous sommes implantés dans un pays d’élevage. Nos terres sont riches et les fertilisants organiques accessibles à bas coût. Sachant que la décarbonation de la farine concerne à soixante-dix pour cent le volet agricole, nous avons un gros potentiel sous nos pieds. Avec des amendements organiques, des techniques de conservation des sols et une rotation des cultures — prairies, légumineuses, couverts fertilisants… —, il est possible d’organiser des modèles agricoles rentables, stockant davantage de carbone qu’ils n’en émettent. Le réchauffement climatique, les recherches agronomiques sur les blés à bas intrants et l’attente citoyenne nous poussent à mener cette transition sur le territoire sans tarder », souligne-t-il. Ces farines bas carbone (biologiques ou raisonnées) pourraient convaincre aussi les grosses boulangeries, qui commencent à se pencher sur leur impact environnemental.
Les petits moulins ont parfaitement conscience que leur grande force est écologique, et même sociétale. « Échanges en circuits ultra-courts, valorisation des issues de blés, emballages recyclables, gestion des ressources en eau… la petite meunerie est très engagée sur ces fronts. Par une enquête interne, nous nous sommes rendu compte que les adhérents des PMF partageaient la même vision en matière de RSE [responsabilité sociétale des entreprises, NDLR], ce qui nous a permis de proposer un cadre et un accompagnement afin d’avancer collectivement », indique François Giraudineau. À travers tous ces défis, l’objectif des PMF est bien de stabiliser, et même de redynamiser la consommation de pain en France via une quête d’excellence (céréalière, meunière, boulangère), tant concernant le goût et la santé des produits que la durabilité des filières. Leur dernier slogan “Un boulanger, son petit moulin, la bonne manière de faire du pain” résume bien cette ambition.